Thibaut Dupeux, chaudronnier de père en fils, a 26 ans. Le 2 août 2022, un tragique événement allait bouleverser sa vie. Son père est décédé suite à ses blessures lors d’une chute sur un chantier.
Mais, Thibaut a décidé de rebondir. Il a repris ses études pour se former sur la sécurité au travail. Et au printemps prochain, il organisera un rallye automobile pour sensibiliser les professionnels du BTP à ce problème crucial. Parmi les artisans qui ont déjà répondu à son appel, il y a Stéphane Aria.
Vous pourriez aussi l’aider. Comment ? Les réponses dans cette interview exclusive pour Tokster.
Le témoignage de Thibaut
« Mon père était chaudronnier. Quand j’étais petit avec Valentin mon frère, on passait nos vacances sur les chantiers. C’est vraiment le métier dans lequel je me sentais fort.
J’ai rapidement grimpé les échelons jusqu’à devenir conducteur de travaux dans une entreprise qui effectue le montage de silos agricoles.
Quand mon père est tombé le 2 août 2022, je n’étais pas sur place. Je devais suivre l’avancement de plusieurs chantiers.
Avec son équipe, il était en train de changer les chaînes d’un transporteur. Ces chaînes sont très lourdes, elles pèsent 80 kg. Mais ce sont des gestes qu’il aura faits plus de mille fois dans sa carrière. C’était aussi la phase la moins dangereuse. Pourtant, on ne sait toujours pas pourquoi, il a basculé et fait une chute d’environ 3 mètres. C’est sa tête qui a frappé la première sur un sol en béton. 4 jours plus tard, mon père est décédé suite à ses blessures.
Comme j’étais conducteur de travaux, j’ai donc été convoqué comme potentiel responsable de l’accident de mon père. J’ai dû d’abord répondre aux questions de l’inspection du travail, puis de la gendarmerie. Même si j’ai été blanchi, toute ma vie je me sentirai responsable de son accident. Je veux éviter cette souffrance à tous les travailleurs que je pourrais rencontrer sur mon chemin.
Je n’avais jamais suivi de formation sur la sécurité des chantiers. Alors, j’ai décidé d’arrêter de travailler et j’ai repris mes études en QSE (ndlr : Qualité Sécurité Environnement). »
La formation QSE
Ce matin tu es d’ailleurs en formation et tu m’as appelé durant ta pause pour répondre à mes questions.
« Oui, je suis au CESI à La Rochelle. C’est une école spécialisée dans les métiers du bâtiment, la sécurité et l’informatique. J’apprends toutes les règles de sécurité, mais aussi d’hygiène, de qualité, de respect de l’environnement, etc. Bien sûr, c’est la partie sécurité qui m’intéresse le plus.
Dans le cadre de ce cursus, je dois mener un projet citoyen. Logiquement, j’ai choisi la sécurité au travail. Ce que j’aimerais, c’est provoquer une prise de conscience et faire bouger les mentalités dans les métiers du bâtiment. Trop souvent, on met la pression sur les équipes qui travaillent sur les chantiers pour respecter les délais ou encore réduire les coûts au maximum. Ils doivent se convaincre que mettre une paire de gants, ce n’est pas une perte de temps. Mais, c’est surtout me protéger potentiellement les mains, me protéger potentiellement d’une maladie provoquée par certains produits, protéger aussi les autres, etc. C’est cette mentalité que je veux faire évoluer.
Trop souvent, on ne connaît pas certaines obligations liées à la sécurité quand on est sur un chantier. Par exemple, les plans de prévention sont obligatoires. Cela comprend aussi l’analyse du risque. J’ai des amis artisans qui ne savaient même pas que le document unique d’évaluation des risques professionnels était lui aussi obligatoire. C’est la base de la sécurité dans une entreprise.
Grâce à cette formation, j’espère surtout pouvoir m’engager sur l’aspect prévention de la sécurité. »
Le digital peut aussi aider à améliorer les conditions de sécurité. Je te donne un exemple. La start-up BizzCardz a mis en place un « passeport sécurité numérique » pour chaque intervenant sur un chantier. Est-ce que tu penses que ça peut être utile ?
« C’est une excellente idée, car les professionnels qui interviennent sur un chantier auront toujours sur eux ce passeport lors des contrôles. Mais surtout, cela devrait inciter les entreprises à les embaucher en priorité ou à les former sérieusement. »
J’ai raconté ton histoire à Julie Micaud, coordonnateur sécurité et santé au travail chez UMAN Group en Vendée. J’échange régulièrement avec elle sur les problèmes de sécurité et j’ai déjà fait son interview (Poigne de fer et séduction : quand une femme s’impose sur les chantiers). Sa réaction va dans ton sens, celui de la prévention.
« Je trouve particulièrement pertinent le parcours de Thibault, même si c’est regrettable pour lui de traverser cette épreuve difficile.
En effet, les accidents du travail sont un véritable enjeu sociétal. Chaque année, on dénombre environ 600 000 accidents, toutes industries confondues, dont près de 90 000 dans le secteur du BTP.
En tant que coordonnateur sécurité et santé au travail, mon rôle principal consiste à accompagner quotidiennement les équipes, qu’il s’agisse des compagnons ou des chefs d’entreprise. Mon objectif est de favoriser les échanges et de promouvoir une culture de la sécurité.
Actuellement, je suis pleinement investi dans l’accompagnement de la mise en place de chartes d’engagement de groupe et de livrets de consignes spécifiques à l’accueil sur chantier. Il s’agit d‘adopter des engagements forts, de manière ludique autant que possible, afin d’instaurer un changement de comportement durable. »
La passion pour les rallyes
Tu as décidé de lier cet événement qui aura lieu à Villers-en-Pons (Charente-Maritime) au printemps 2024 (la date exacte sera communiquée prochainement) à la passion de ton père : le rallye automobile. Est-ce que c’est aussi ta passion ?
« Oui, je suis en train de monter ma voiture. C’est mon frère qui a été le premier à faire du rallye. Ensuite, c’est mon père qui a suivi… »
Un moment de silence, puis il ânonne un « c’est compliqué ». Il reprend un court instant le fil de son discours.
« Pour être honnête, au départ, cette discipline ne me passionnait pas. Je ne voyais pas l’intérêt de monter dans une voiture pour aller vite (rires). Mais après l’accident… »
Il est envahi par l’émotion. On sent que pour lui, c’est particulièrement important de dire ces mots.
« J’ai voulu m’y intéresser. Avec mon frère, on a commencé à transformer ma première voiture en mettant un arceau dans l’habitacle et on a continué comme ça petit à petit. Jusqu’au jour où j’ai parlé de mon projet pour l’école. Mon frère m’a alors suggéré d’organiser un rallye. La passion a grandi en moi.
Il y aura 2 voitures à l’effigie de cet événement, la mienne et celle de mon frère. Elles seront de la même couleur et elles auront les mêmes sponsors.
Un tel événement, ça coûte de l’argent. Aujourd’hui, je ne suis qu’étudiant et je n’ai pas le budget nécessaire. Heureusement, Stéphane Aria m’aide beaucoup pour l’organisation et la recherche de partenaires. »
Le coup de pouce de Stéphane Aria
Comment as-tu rencontré Stéphane Aria ?
« Je suivais Stéphane sur TikTok. Je suis quelqu’un de manuel et j’aime suivre les personnes qui donnent plein d’astuces. J’ai eu très peu de retours dans mes démarches pour m’aider à financer l’événement auprès des entreprises et des personnes que je connais déjà. Alors je me suis dit autant tenter le tout pour le tout en envoyant un message à une personnalité des réseaux sociaux. 2 heures après, il m’a appelé et on a discuté longuement. Il s’est senti concerné, car il parle souvent sécurité dans ses vidéos. Il m’a immédiatement dit qu’il allait m’aider. Il a commencé par prendre contact avec des gens et des entreprises qu’il connaît. Il t’a appelé toi pour envisager cette interview avec Tokster. Franchement, je suis extrêmement touché et reconnaissant. Il m’a aussi apporté de nouvelles idées.Il est vraiment super. »
Tu sais, avant d’être l’artisan influenceur que l’on connaît, il était carrossier. Ils sont nombreux dans le bâtiment à avoir la passion de l’automobile. L’électricien Mouss Saada adore la mécanique (à lire dans cet article). Yann Cardona a fait des études en mécanique avant de devenir plaquiste.
Appel aux sponsors
« Cet événement me coûte 5000 euros. Tous ceux qui m’aideront à partir d’un don de 500 euros auront l’autocollant de leur société sur ma voiture et celle de mon frère. Le jour de l’événement bien sûr, mais aussi pendant toute la saison de rallye. On fera entre 8 et 10 courses à leurs couleurs. »
Le programme de l’événement
« Ce genre d’événements existe déjà, par exemple pour le Téléthon. Les personnes paient leur place pour faire un tour de rallye sur une route fermée. Ils auront donc la sensation de faire une course. Ce ne sera pas chronométré et les pilotes s’adapteront à chaque profil avec la possibilité d’aller plus ou moins vite.
En plus de ma voiture et celle de mon frère, il devrait y avoir une quinzaine d’autres voitures pilotées par des artisans du bâtiment. J’ai dit à Stéphane que je pourrais lui prêter la mienne pour faire quelques tours. Je fournirai des gants à ceux qui monteront dans les voitures et des bouchons d’oreilles à tous. C’est essentiel, car c’est un événement sur la sécurité et on doit donner l’exemple. L’agence Ortec Services Environnement à Niort me fournit tout le matériel nécessaire pour sécuriser l’événement.
Je fais cet événement pour collecter des fonds pour l’association « Collectif Familles : Stop à la Mort au Travail ».
Ce sont des familles qui se sont regroupées pour accompagner les familles confrontées à ces accidents du travail, pour monter au créneau et faire bouger les choses auprès du ministère du travail, et surtout mettre des choses en place sur la sécurité.
L’association aura un stand où ils pourront échanger avec les participants pour parler de leur combat, de prévention et donner des conseils.
Je vais préparer un quiz sur la sécurité au travail pour informer et provoquer une prise de conscience. Par exemple, savez-vous combien d’accidents du travail il y a chaque année en France ? Et combien d’entre eux sont mortels ? »
« Si un artisan ne se met pas en sécurité sur un chantier pour lui, alors qu’il le fasse au moins pour les autres et pour sa famille. »Un événement coup de cœur
Merci Thibaut. En conclusion, je vais donner la parole à Stéphane Aria. On comprend encore mieux les motivations qui ont conduit Zepros à lui avoir remis le coup de cœur du jury lors des Ze Awards 2023.
« Moi j’ai choisi de soutenir Thibaut et cette association pour plusieurs raisons. D’abord parce que son histoire m’a touché. Mais aussi parce que suite à cet accident, il a su réagir positivement et il a plongé corps et âme dans la passion de son père. Moi, j’ai toujours rêvé de devenir un jour un pilote de rallye. Je vais le réaliser lors de l’événement. Ensuite, parce que moi aussi je me relâche parfois et j’oublie de mettre mes EPI. On doit absolument prendre conscience que ce n’est pas un détail. On doit montrer l’exemple. Enfin, j’ai envie de lancer un appel aux marques qui ont envie de nous rejoindre. Plus leur don sera conséquent, plus l’autocollant sera grand sur les voitures de rallye de Thibaut et son frère !
Merci à Tokster, toi et Claudine en particulier, d’avoir répondu à mon appel en mettant à la une l’histoire et l’initiative de Thibaut. Je vous attends nombreux à cet événement sur la sécurité. C’est important. On va aussi passer un bon moment ensemble en conduisant des voitures de rallye. »