Lors de notre première rencontre en janvier 2021, le chef Fred Vacherié avait dévoilé à Tokster son projet d’ouverture d’un bistrot en centre-ville. Alors qu’on était au milieu de la crise sanitaire de la Covid-19, c’était un fantastique message d’espoir à toute la profession. Il nous parlait de sa « volonté de transmettre ce plaisir que l’on a de se retrouver autour d’une assiette. »
Fin avril 2021, c’est chose faite avec l’inauguration de « Racine » face au musée Bonnard et à deux pas de la mairie du Cannet dans les Alpes-Maritimes. Un nom qui correspond parfaitement à l’histoire et à la philosophie de Fred Vacherié.
Voici l’interview d’un chef épicurien, respectueux de la nature et des gens, mais aussi doté d’une force à toute épreuve : l’optimisme ou la volonté d’aller toujours de l’avant.
Bonjour Fred, merci de m’accueillir ici. Il est 15 heures et il y a encore de l’ambiance. C’est dû à la particularité du restaurant qui accueille ses clients tout au long de la journée. Peux-tu nous expliquer ce concept ?
« Oui, on est ouvert de 7 h 30 à 23 h, du lundi au samedi. On peut venir pour le petit déjeuner. C’est Virginie qui vous servira des cakes et des pâtisseries maison. Toute la journée, on vous accueille pour des moments différents : un rendez-vous d’affaires ou amoureux, boire un thé ou un canon de rouge, grignoter sur le pouce, il y aura toujours une terrine sur le comptoir qui vous attend. »
On peut donc avoir du salé ou du sucré à tous les moments de la journée.
« Exactement, il y a une solution à toute heure. On va même ajouter une activité avec l’arrivée des beaux jours, c’est un scoop, car on a concrétisé ça ce matin, on va installer une petite bicoque en terrasse pour proposer des glaces. Je travaille avec le même glacier depuis 18 ans. Je l’avais rencontré quand je travaillais chez les frères Pourcel. »
L’expérience Racine
Tu insistes toujours sur le respect des produits, la saisonnalité et les relations humaines. On peut lire sur ton cite cette phrase sur l’expérience du client chez Racine :
« C’est une chaîne humaine qui débute chez l’agriculteur, l’éleveur ou encore le pêcheur pour se terminer dans nos assiettes. »
Peux-tu nous raconter, avec ta verve habituelle,« l’expérience Racine » ?
« C’est ma façon d’appréhender le métier de la restauration. Ce sont aussi les valeurs avec lesquelles j’ai grandi, parce que je suis fils d’agriculteurs, parce que je vivais dans une famille modeste, donc j’optimise tout, et tous les chefs avec qui j’ai travaillé m’ont appris à respecter le produit dans son intégralité.
Par exemple, c’est la saison des asperges. On va tout travailler : les pluches vont aller dans un bouillon, les queues vont aller dans un siphon pour préparer des plats qui figurent sur la carte du mois de mai. C’est ce qu’on appelle aussi le bois de l’asperge, car en termes de texture, ce n’est pas mangeable tel quel. Alors, on transforme ça en espuma, des chantilly salées, des infusions. Et on garde la sommité pour la mettre dans l’assiette et qu’on reconnaisse qu’on mange bien des asperges.
Moins on a de déchets organiques, mieux on a travaillé. Je tiens à respecter la chaîne alimentaire et de la biodiversité. Si on a pêché un poisson, je n’accepterai pas que l’on ne le cuisine pas en l’optimisant. Cette semaine, un de mes amis pêcheurs m’appelle à 6 heures du matin pour me dire qu’il a retrouvé un espadon de 44 kg dans ses filets. L’animal ne peut pas mourir en vain, alors bien sûr, je le prends. 20 minutes plus tard, il me rappelle pour me dire qu’il en a péché un autre. Encore plus gros. On a réussi à faire environ 130 portions.
Ce sont des poissons qu’on pêche en profondeur, rarement près de la côte. En ce moment, on trouve plus facilement des langoustes, des chapons, des sépioles, du mérou jaune. Il n’était pas parti pour pêcher des espadons, mais la nature en a décidé autrement. »
Jean-Charles Orso, du bio depuis 25 ans
Pour tes fruits et légumes, tu travailles surtout avec Orso (voir le reportage vidéo ci-dessus). Voici ce que tu m’avais raconté lors d’une précédente rencontre :
« Jean-Charles Orso est un ancien international de rugby talentueux dans les années 80. Il a joué à Nice et à Toulon. C’est un mec en or, qui est passé au bio il y a plus de 25 ans quand personne n’en parlait encore. Alors que je prenais mon petit déjeuner avec lui, il m’a dit cette phrase magnifique :
« Dans ma vie, Fred, je n’ai pas eu la chance d’avoir des enfants, mais je sais que je laisserai mes terres beaucoup plus belles et riches que celles que j’ai trouvées à mes débuts. Mon héritage sera transmis à travers ces terres que je travaille avec beaucoup d’amour depuis plus de 25 ans. »
Il fait du bio et il s’en porte bien, pas seulement au niveau de la santé, mais aussi économiquement. Est-ce que tu me le confirmes ?
«Jean-Charles Orso est une personne qui a le respect des gens, de la planète et de son métier. À 65 ans, il est toujours sur ses terres tôt le matin et tard le soir. Il fait du bio, pas pour des raisons marketing ou de mode, mais par conviction. Il démontre qu’on peut faire du rendement avec du bio, contrairement à ce que l’on peut entendre dans les médias.
Il démontre que la pollinisation intelligente ou encore l’utilisation des coccinellesdans ses cultures porte ses fruits. C’est un travail sensé et réfléchi qui nécessite de faire de nombreux essais.
Aujourd’hui, sa production est comparable quantitativement aux cultures qui emploient des pesticides. Qualitativement, elle est bien supérieure, même si les courgettes, les tomates et les autres produits sont parfois moins esthétiques, mais on les choisit pour le goût avant tout. »
L’ambiance Racine
Pourquoi ce nom RACINE ? Pour la littérature et Jean Racine ou pour le côté végétal ou dans le sens d’origine ou le lien que l’on a avec un lieu, un milieu ?
« Tu trouves le sens qui te correspond le mieux dans toutes ces définitions. Pour nous, c’est bien sûr le légume que tu retrouves sous terre. C’est aussi un retour aux sources avec le côté bistrotier, ma cuisine de prédilection, celle de mes plus belles années parisiennes. Et puis, Le Cannet, c’est ma ville, mon jardin de jeux depuis mon enfance. J’allais à l’école ici et mes enfants y vont aujourd’hui. J’aime retrouver cette vie de quartier où les gens se connaissent, se saluent et se souviennent de toi.
Je crois que les heures d’ouverture de Racine du matin au soir sont propices à cette atmosphère conviviale. »
Je vais te donner mon témoignage sur cette ambiance chaleureuse et de quartier comme tu le dis (je baisse le ton de ma voix). J’ai déjeuné ici, et à un moment j’ai tendu l’oreille à la conservation de la table d’à-côté. Cette dame, qui est encore assise derrière moi, a raconté toute ton histoire à ses amis. Elle sait tout de toi, de ton enfance au Cannet, du restaurant que tu avais avant sur la place Bellevue, et aujourd’hui, elle te décrivait comme l’enfant prodigue qui est revenu chez lui. C’est impressionnant. J’aurais presque pu l’interviewer à ta place.
« Je connais très bien cette dame. La proximité et la promiscuité font partie d’un bon bistrot. Si on commence à éloigner les tables, on n’est plus dans un esprit de bistrot. C’est regarder le plat du voisin, c’est participer indirectement à une conversation, c’est échanger ses impressions avec les autres, créer le dialogue et le contact. C’est vraiment ce que j’aime et c’est ce qui plaît aux gens. »
Autre aspect important, les membres de ton équipe nous accueillent avec courtoisie, chaleur et dans la bonne humeur. On vit un bon moment pour ce que l’on mange, mais aussi pour l’attention que l’on nous porte. Il n’y a pas non plus de mauvaises surprises. Je te donne un exemple, le plat du jour est légèrement plus cher, le serveur a préféré nous le préciser immédiatement. On vit une vraie et belle expérience client.
« C’est Marc, le directeur de l’établissement qui t’a accueilli. C’est un immense professionnel qui a travaillé pendant 12 ans dans des restaurants étoilés. C’est le profil que je cherchais absolument pour cet endroit. »
La cuisine chez Racine
Peux-tu aussi nous parler de ton chef en cuisine ?
« C’est Flo, il est talentueux, il a 33 ans et c’est sa première expérience en tant que chef de cuisine. J’ai complété son savoir sur le travail du cinquième quartier, les abats, car c’est une génération qui n’a pas connu ça (rires). »
Qu’est-ce qu’on trouve chez Racine et nulle part ailleurs ?
« Chaque vendredi et samedi, je relance le vol-au-vent, un plat de la noblesse gastronomique française. On a tous mangé des vol-au-vent et des bouchées à la reine, mais c’est une tradition que l’on a perdue. On fait un feuilletage maison et on garnit chaque semaine nos vol-au-vent de produits de saison. Aujourd’hui, on avait des asperges, des morilles et une volaille de Challans label rouge. La prochaine fois, ça pourrait être du homard, des noix de Saint-Jacques fraîches pour terminer la saison. Ça évoque des souvenirs liés à l’enfance, à une grand-mère qui préparait ça avec amour, à des repas de famille. »
De la volaille de Challans, mais est-ce que tu aurais pu aussi mettre de la pintade ?
« Bien sûr, mais je préfère attendre l’automne pour travailler la pintade. Je suis passionné par la volaille. La pintade, c’est bien parce qu’il y a un côté rustique, une saveur plus dense et plus forte. Dès les premières fraîcheurs, un plat avec de la pintade et des champignons, c’est fabuleux. La pintade est une volaille qui aime la crème et les sauces riches. On travaille avec un éleveur qui nous fait des pintades chaponnées. C’est un vrai plaisir de la rôtir avec une lamelle de truffe par exemple. »
ePack Hygiene et Rational
Dans notre interview en 2021, tu avais insisté sur l’importance de l’hygiène, la sécurité et l’hygiène alimentaire. Avec qui travailles-tu sur ces domaines d’intervention ?
« Tout restaurateur qui se respecte doit travailler avec un cabinet de sécurité alimentaire avec un contrôle sérieux et continu. On paie des gens pour se faire suivre, avoir des contrôles inopinés et parfois se faire gronder (rires). C’est une obligation. Si tu veux de la transparence, tu dois avoir une certification.
On travaille notamment avec ePack Hygienedans notre laboratoire pour la traçabilité alimentaire. C’est un système informatisé de traçabilité et de réception de marchandises, du contrôle des températures frigo, refroidissement et étiquetage. C’est un système efficace, breton d’origine, et élaboré par un restaurateur. On est fan et on travaille avec eux depuis des années. L’un des avantages est que l’on n’a plus de papiers dans le labo. »
Est-ce que tu utilises toujours des produits Rational ?
« Je ne sais pas travailler sans mes fours Rational ! Même ici, avec une cuisine toute petite, j’ai réussi à en mettre le plus petit four Rational du monde, le combi XS. »
Fred, je te propose pour terminer cette interview, un petit portrait culinaire.
L’interview « si j’étais » du chef Fred Vacherié
« Si j’étais un produit, je serais un morceau de cochon improbable ! La pluma par exemple. Je n’aurais jamais la noblesse d’un poulet de Bresse, donc le côté cochon me va très bien (rires).
Si j’étais un plat du menu d’aujourd’hui chez Racine, je serais le « Galabar de noir de Bigorre ». C’est un boudin artisanal préparé avec la Rolls du porc français, le Noir de Bigorre. Le galabar est un mélange de sang et de morceaux de tête de cochon. Avec un cochon, tu ne peux faire que deux galabars, c’est donc vraiment un produit exceptionnel.
Si j’étais un dessert, je serais un baba au rhum. Un baba que je partagerais volontiers, car il serait trop gros pour une seule personne (rires).
Si j’étais une cuisine étrangère, je serais la cuisine japonaise. C’est une cuisine d’une grande rigueur, finesse et complexe. Ce sont des cuisiniers qui sont capables de nous faire rêver avec un simple morceau de poisson taillé !
Si j’étais un vin rosé, je serais un vin AOP Côtes de Provence avec une saveur bonbon anglais, une note d’acidité et une fraîcheur en fin de bouche qui donne envie de boire une deuxième gorgée rapidement.
Si j’étais un territoire, je serais quelque part sur la côte Basque entre l’océan Atlantique et les Pyrénées.
Si j’étais un autre chef, je serais, le chef à qui je dois tout, Christian Constant.J’ai travaillé avec lui pendant plus de 4 ans. Je ne l’oublierai jamais. »
Pour faire le lien avec ton bistrot ici au Cannet, c’est toujours l’idée des racines qui ressort.
« Bien sûr, tu n’oublies jamais d’où tu viens. Tu grandis et tu progresses grâce à tes rencontres, grâce aux gens avec lesquels tu transpires tous les jours. »
Je vous invite à retrouver et suivre Fred Vacherié sur son compte Instagram: Fred_plages. Et à le retrouver chez Racine, 25 Boulevard Sadi Carnot, 06110 Le Cannet, à n’importe quel moment de la journée.