Bonjour Romain, ton profil a rapidement attiré mon attention sur Instagram. Je vais t’expliquer pourquoi. On remarque que plusieurs artisans du bâtiment sont devenus des spécialistes des réseaux sociaux. On les nomme des influenceurs, mais la plupart réfutent ce terme, ils préfèrent se définir comme des artisans connectés. Certains d’entre eux ont même intégré une petite structure dans leur entreprise pour développer des vidéos sur YouTube, TikTok, et gérer leurs réseaux sociaux. C’est le cas par exemple de Laurent Aubel avec sa chaîne « Nous, les artisans » et Julien Bonnet avec sa chaîne « Sons of Metallerie ». Je les connais bien pour les avoir déjà interviewés.
En revanche, toi Romain, tu as une trajectoire inversée :
tu étais Community manager et tu as décidé de devenir plombier.
Je trouve cette démarche à contre-courant passionnante et j’aimerais que tu me racontes à travers tes expériences ce qui t’a conduit à passer d’un métier à l’autre. C’est aussi une formidable publicité pour les métiers du bâtiment qui souffrent d’un déficit d’image auprès des jeunes notamment. Est-ce que devenir plombier était un rêve de gosse ?
« Pas du tout ! Mon rêve de gosse, c’était de devenir journaliste, de partir aux quatre coins du monde, caméra au poing. Gamin, j’avais deux mains gauches, j’étais nul en travaux manuels à l’école, je n’avais personne dans ma famille qui était dans le bâtiment, ça ne m’intéressait pas. C’est pour ça que j’ai fait des études de journalisme et marketing. Ensuite, j’ai fait un tour du monde en 2016 avec ma femme.
À mon retour, j’ai travaillé pour le journal « La Tribune » en tant que community manager. Cette expérience a motivé ma reconversion. J’étais dans une sorte de placard, car ils voulaient rester sur une stratégie de communication à l’ancienne. Ils refusaient, par exemple, de mettre des vidéos sur les réseaux sociaux, ou encore de créer et animer un compte sur Instagram. Je m’ennuyais à longueur de journée et j’avais l’impression de mourir à petit feu. »
De la dépression à la plomberie
Le contraste avec tes aventures autour du monde a dû être saisissant.
« Absolument ! Là-bas, je vivais des moments exaltants en allant à la rencontre de la population locale. Il n’y a rien de mieux que le jeu pour ça. On arrivait sur une place d’un village au Pérou ou en Nouvelle-Zélande pour citer deux des pays qu’on a visités, et on commençait à jouer autour d’une fontaine. Petit à petit, les enfants s’approchaient et se mettaient à jouer avec nous, puis les parents venaient voir ce qui se passait. On discutait, puis on était invités chez eux.
Le contraste entre ce voyage et mon nouveau job m’a conduit au bord de la dépression. J’angoissais à l’idée de continuer à faire ça pendant 40 ans. Chaque jour passé derrière mon ordinateur était une journée perdue sur ma vie ! »
Comment as-tu fait pour te relever ?
« Heureusement, un évènement allait chambouler ma vie en 2018 : la naissance de ma fille. Je voulais que ma fille soit fière de son père. Il fallait que je réagisse.
L’inspiration je l’ai trouvée dans mes souvenirs de voyage. J’avais rencontré des gars qui réussissaient des trucs formidables avec deux bouts de bambou et trois clous. Ils fabriquaient des balançoires magnifiques, des vases de toutes les couleurs. Ils m’ont donné envie de construire des objets avec mes mains. J’ai décidé de changer de voie et de partir dans l’artisanat.
Un soir, j’ai noté sur une feuille ce que j’aimerais faire et ce que je ne voulais plus faire, ce que je savais faire et ce que je ne savais pas encore faire. Dans la liste des métiers qui m’attiraient, il y avait boulanger, chocolatier, fleuriste, brasseur de bière et plombier. »
Et comment as-tu choisi ?
« Je ne voulais pas travailler la nuit, j’ai donc tiré un trait sur le métier de boulanger. Je ne voulais pas travailler le week-end, exit l’idée du fleuriste. Je voulais gagner ma vie rapidement, ce qui excluait aussi chocolatier et brasseur de bière. Le seul métier qui cochait toutes les cases, c’était plombier ! Je me suis renseigné pour voir s’il y avait des formations, des aides et j’ai lu un livre…
Être plombier, c’est ma nouvelle passion
Un livre pour devenir plombier ?
« Non (rires), pas vraiment. C’est « La révolte des premiers de la classe » de Jean-Laurent Cassely. Ce livre parle des hommes et des femmes qui étaient un peu comme moi. Ils ont fait de longues études et travaillent dans la finance, le marketing, la publicité, les banques, etc., mais ils en ont eu ras le bol. Alors, ils ont choisi de se reconvertir dans d’autres métiers comme ébéniste, boulanger, fabricant de savons. Ça m’a rassuré, je n’étais pas le seul à être dans cette situation. En plus, ces gens sont tous heureux et épanouis dans leur nouvelle vie. »
Est-ce que tu as lu aussi l’histoire d’une personne qui était devenue plombier ?
« J’ai découvert le profil du premier cycloplombier dans les rues de Paris, Elian Alluin. Je trouvais qu’il avait une super image qui correspondait bien à ma personnalité. »
Pourquoi plombier et pas électricien ou maçon ?
« C’est difficile à expliquer. Travailler au contact de l’eau, rendre service à des gensqui sont en détresse. C’est ce qui me manquait en tant que community manager. J’étais donc censé avoir des relations sociales, pourtant je ne m’étais jamais senti aussi seul ! C’est le contact humain que je préfère dans mon nouveau métier, c’est aussi de leur apporter une solution et puis une fois l’intervention terminée de discuter avec eux en buvant un café. »
Plombier, c’est donc ta nouvelle passion ?
« Franchement oui. Le dimanche, je n’ai qu’une envie : c’est d’être le lendemain pour aller travailler ! Quand je suis en vacances, ça me manque. Je me dis que j’aimerais bien déboucher un évier ou changer un joint (rires). »
Plombier, un métier utile
Est-ce qu’il y a un moment parmi toutes tes interventions pendant lequel tu t’es dit que tu étais fier d’avoir fait ce choix ?
« J’ai obtenu mon CAP de plombierchez Les Compagnons du Devoir et du Tour de France. Vers la fin de ma formation, j’accompagne un plombier au domicile d’une personne âgée pour remplacer un ballon d’eau chaude. On arrive dans un appartement minuscule et sombre dans un quartier malfamé de Paris. Mais on est accueilli par un petit vieux avec le sourire jusqu’aux oreilles. Il nous offre un thé avec des petits gâteaux. C’était l’hospitalité marocaine dans toute son authenticité. On se met rapidement au travail, tout en continuant de discuter avec lui. On apprend que ça fait une semaine que son ballon a lâché etcomme il y avait une fuite, il a coupé l’eau. Mais il raconte ça en souriant, sans se plaindre, sans dramatiser la situation. Il était heureux de vivre. Il nous dit en toute simplicité : « Ce n’est pas si grave, il y a plus grave dans la vie. » Je lui demande : « Mais comment avez-vous fait pendant une semaine sans eau ? ». Il nous raconte qu’il est allé dans l’hôtel à côté pour prendre sa douche et qu’il s’est arrangé en se disant que de toute façon, l’eau allait bien finir par revenir. Il m’a vraiment ému et j’étais content de lui avoir installé un nouveau chauffe-eau. Ce soir, il allait pouvoir prendre une douche chaude chez lui et ça valait tous les trésors du monde. Je n’étais pas encore officiellement plombier, mais mon pari était déjà gagné. Je repense souvent à lui. Je suis fier de toutes ces rencontres et de toutes ces interventions qui améliorent le confort des gens. Et ça, ça m’a changé la vie.
C’est un très beau métier dans lequel je me sens utile. Pour rien au monde, je ne retournerai dans la com ! »
Tu viens de mettre en valeur un élément essentiel : les artisans du bâtiment travaillent pour le bien-être des autres. C’est leur dignité et ce sont ces histoires que l’on raconte avec Tokster. C’est notamment ce que l’on explique dans cet article : « Le storytelling pour les artisans : tout comprendre sans bla-bla-bla ! »
Les réseaux sociaux pour apprendre
On va quand même revenir un peu à la com dans cette interview. Comme tu viens du digital, je pense que tu es la bonne personne pour répondre à la question suivante : en quoi les réseaux sociaux peuvent être utiles aux artisans ?
« C’est utile pour montrer leur travail et leur savoir-faire. J’ai été formé par des pros qui ont de l’or dans les mains. Mais les réseaux sociaux, ça ne les intéresse pas. Ils se moquaient même de moi en m’appelant « le journaliste ! ». Je trouve ça dommage qu’on ne les mette pas plus souvent en valeur. J’ai lu ton article sur Remi Maurice, c’est prodigieux ce qu’il fait et son travail mérite d’être à la une.
L’objectif n’est pas de devenir célèbre. Montrer ce que tu sais faire, c’est valorisant pour toi et ça peut aussi t’apporter des clients.
Mais ça permet aussi d’apprendre des choses. J’utilise surtout les réseaux sociaux pour apprendre des techniques et découvrir des outils. Quand j’ai un doute sur une intervention, il suffit que je regarde un tuto sur le web pour suivre la bonne procédure. »
Tu as raison Romain, un artisan qui publie sur le web de bons tutoriels comme Stéphane Aria ou Gonzague Hlyn alias « EnfiletonBleu », rend un énorme service aux autres artisans. Ils deviennent des références. C’est cela qui compte. Ce n’est pas forcément faire du sensationnel. N’est-ce pas Romain ? Avant de me répondre, j’invite les lecteurs (avertissement : âmes sensibles s’abstenir !) à cliquer ici pour voir l’une de tes vidéos pendant ton tour du monde. C’est l’occasion de découvrir un Romain en chair et en os particulièrement courageux.
« Il ne faut pas faire du sensationnel pour faire du sensationnel. On peut le faire pour amuser les autres. Par exemple, se filmer quand tu fais une erreur et tu prends l’eau dans la figure, c’est sympa.
Pour la vidéo au Cambodge, c’est avant tout mon côté professeur. Je voulais montrer les spécificités culturelles de chaque pays. Les Cambodgiens mangent des insectes, ça fait partie de leur tradition culinaire. Pendant que je mangeais ma mygale, il y a un Cambodgien à côté de moi qui faisait ses courses normalement. Le côté sensationnel nous permet aussi d’apprendre des choses. »
Le petit plombier à vélo
Qu’est-ce qui te plaît sur un chantier ?
« J’adore faire les recherches de fuite. Tu pars d’un constat pour remonter à la source du problème. Souvent l’origine de la fuite est cachée, tu dois faire des trous dans les murs, tu passes une caméra, tu mets un doigt pour voir si c’est mouillé. Il y a un vrai travail d’investigation. J’ai l’impression d’être un détective. »
C’est excellent ce que tu nous dis là Romain. On reconnaît le journaliste qui a appris à vérifier ses sources. C’est une similitude entre ton premier et ton nouveau métier. C’est moins souvent le cas du community manager malheureusement quand il diffuse des fake news.
Autre caractéristique importante, tu es « le petit plombier à vélo ». Tu as depuis quelques jours seulement lancé ta propre boîte. Pourquoi avoir choisi le vélo ? Le côté pratique, car circuler en voiture à Paris, c’est galère ? Le côté écolo ? Le côté sportif ?
« Je n’envisageais pas de faire ce métier autrement qu’à vélo. J’étais pratiquement sans expérience et je n’ai qu’un petit CAP de plombier en poche, il fallait donc que je me démarque. Le vélo me permet de faire la différence et de donner une image plus moderne et dynamique du métier.
C’est aussi un choix de bon sens, surtout à Paris. C’est bien plus facile de se déplacer en vélo qu’en voiture. On arrive plus rapidement sur un chantier. 25 minutes suffisent pour traverser Paris à vélo pendant les heures de pointe. En voiture, il faut au moins deux heures.
C’est un choix financier aussi, c’est important quand tu lances ta boîte. Je n’ai pas d’essence à payer, pas de stationnement dans la rue, pas d’assurance auto, etc. C’est tout bénef !
Et bien sûr, c’est un choix écologique. »
Est-ce que tes clients s’intéressent à ta démarche « green » ?
« Ils sont sensibles à ma démarche. Il y a même ceux qui font appel à moi parce qu’ils font aussi leurs déplacements à vélo et qui se demandent bien pourquoi il y a encore des gens qui prennent la voiture dans Paris !
Le vélo, c’est en quelque sorte une garantie de qualité pour les clients. Ils se disent que si j’ai traversé tout Paris avec un ballon d’eau chaude sur mon vélo, c’est que je dois être sacrément motivé. On donne l’image de quelqu’un de sportif, dynamique et sérieux. »
Est-ce qu’ils sont justement demandeurs de solutions écoresponsables ?
« Absolument, la demande classique est sur les chasses d’eau. Ils nous demandent d’installer des systèmes pour consommer moins d’eau. »
La reconversion pour être heureux
Le message que nous voulons faire passer avec Tokster à travers ces interviews d’artisans du bâtiment est le suivant « Si tu veux qu’on s’intéresse à toi, intéresse-toi d’abord aux autres ! » Est-ce que tu as des amis dans le bâtiment ? Quel autre artisan aurait lui aussi une belle histoire à nous raconter ?
« Quand je me suis lancé, je communiquais plus avec le hashtag reconversion que le hashtag plombier. Je recevais plein de messages : « je suis informaticien, je veux devenir musicien. Comment as-tu fait ? Quelles sont les démarches ? Comment ça se passe avec Pôle Emploi ? » C’était des questions pratiques. Parmi tous ces contacts, il y avait Vincent. Il était graphiste et il voulait lui aussi devenir plombier ! Aujourd’hui, c’est un confrère que je croise régulièrement dans les rues de Paris.
Dernièrement, j’ai rencontré un serrurier, Rodolphe Zanforlini. Il bosse dans la boîte de son frère : « La fidèle ouverture ». Lui, il fait des dépannages en moto. Mais son métier d’origine, c’est mannequin ! Encore une reconversion étonnante. »
Et qui aimerais-tu rencontrer ?
« J’aimerais bien rencontrer Laurent Jacquet. Je le suis depuis très longtemps, bien avant ses émissions sur M6. Et puis, j’aime bien les vidéos de Cindy Plumbs. On voit qu’elle est vraiment passionnée par son métier. »
Moi, je vais te suggérer quelqu’un. Il s’appelle Thierry Vivier, il travaille pour les robinets Presto et il a une personnalité forte, dynamique, passionnée et sympathique. Comme toi. J’ai fait son interview. Je te conseille de lire son interview : « On se lève tous pour PRESTO ! Thierry Vivier nous parle de la magie des robinets »
Il est monté sur une chaise à l’image du héros du « Cercle des poètes disparus », toi, tu montes sur un vélo. Quel message voudrais-tu faire passer ? Ou plus précisément, quel est l’engagement que tu aimerais défendre haut et fort ?
« Je parlerais aux gens qui veulent se reconvertir. Toutes celles et tous ceux qui ne sont pas heureux dans leur vie professionnelle. J’en rencontre souvent, même pendant mes interventions. Dernièrement, c’était une community manager qui a développé son blog sur les bons plans dans le XIXe arrondissement. Elle m’a avoué qu’elle cherche encore sa voie, mais qu’elle aimerait, elle aussi, faire un métier manuel.
Mon message serait de dire qu’il n’y a que le premier pas qui coûte. Signer sa rupture conventionnelle, c’est la décision la plus difficile. Quand on se reconvertit, ça n’engage pas seulement toi, mais aussi ta famille. C’est un changement radical de vie, mais il ne faut pas perdre de vue que l’objectif, c’est de mieux vivre, d’avoir une meilleure qualité de vie. Je peux aller chercher ma fille à l’école, ne pas bosser un après-midi pour rester avec elle, mais en contre-partie, travailler un peu plus tard le lendemain.
Allez-y, reconvertissez-vous, vous serez heureux, et il y aura des gens pour vous aider sur ce chemin. »
Les Ze Awards du bâtiment
Si tu étais un outil, qui correspond à ta personnalité, ton travail ou ta démarche, tu serais…
« Si j’étais un outil, je serais une pince multiprise. Elle représente pour moi la découverte du métier de plombier.
Cet outil est incroyable, on peut tout faire avec. Il multiplie ta force, il s’adapte à toutes les tailles. On m’a souvent dit que j’étais quelqu’un qui sait s’adapter à toutes les situations.
Quand j’étais journaliste, je recueillais le témoignage de manifestants le matin dans les rues de Paris, et l’après-midi, j’étais à l’assemblée pour interview un député. Un jour, je suis community manager, le lendemain, je suis plombier. J’ai un côté caméléon. »
Quel matériel utilises-tu le plus souvent dans tes interventions?
« J’utilise du Virax (sertisseuse, déboucheur à pompe, coupe tube PVC et cuivre, clés à molette et de lavabo), Knipex pour les pinces multiprises, Bosch Pro pour les outils electropartatifs (disqueuse, perceuse, scie sabre) et Ridgid pour le furet ! »
Est-ce que tu prépares dans quelques années une nouvelle reconversion ?
« On verra (rires). Mon autre passion, comme je l’ai déjà dit, c’est le voyage. Peut-être dans une dizaine d’années, j’irais vivre en Polynésie ou en Nouvelle-Calédonie. Après le petit plombier à vélo, je pourrais devenir là-bas le petit plombier en bateau ! (rires)
En ayant choisi un métier que je peux exercer n’importe où, j’ai gagné en liberté. »
Zepros organise aussi les récompenses du bâtiment : les Ze Awards du bâtiment. Est-ce que ça te dit de t’inscrire cette année dans la catégorie « prix de l’entrepreneur digital » ? Franchement, même si la concurrence sera rude, ton histoire peut marquer le jury. Ze Plombier a gagné la première édition et l’an dernier c’était Julien Bonnet (et le plombier-chauffagiste Gonzague Hlyn alias Enfile ton bleu était finaliste).
« Oui, bien sûr, ça m’intéresse. Je vais m’inscrire. »
Si tu étais le dernier mot de cette interview ?
« J’ai repris une citation de Boris Vian que j’ai détournée :
un plombier digne de ce nom ne fuit jamais, fuir, c’est bon pour les robinets ! »
Excellent, merci Romain.